LA SOCIÉTÉ UNIDIMENSIONNELLE

LA SOCIÉTÉ UNIDIMENSIONNELLE

Le totalitarisme n'est pas seulement une uniformisation politique terroriste, c'est aussi une uniformisation économico‑technique non terroriste qui fonctionne en manipulant les besoins au nom d'un faux intérêt général.

Nous pouvons distinguer de vrais et de faux besoins. Sont « faux » ceux que des intérêts sociaux particuliers imposent à l'individu : les besoins qui justifient un travail pénible, l'agressivité, la misère, l'injustice.

Le résultat est alors l'euphorie dans le malheur. Se détendre, s'amuser, agir et consommer conformément à la publicité, aimer et haïr ce que les autres aiment ou haïssent, ce sont pour la plupart de faux besoins.

Plus l'administration de la société répressive devient rationnelle, productive, technique et totale, plus les individus ont du mal à imaginer les moyens qui leur permettraient de briser leur servitude et d'obtenir leur liberté.
Choisir librement parmi une grande variété de marchandises et de services, ce n'est pas être libre si pour cela des contrôles sociaux doivent peser sur une vie de labeur et d'angoisse ‑ si pour cela on doit être aliéné.

Le refus intellectuel et émotionnel du conformisme paraît être un signe de névrose et d'impuissance. Tel est l'aspect socio-psychologique de l'événement politique le plus marquant de l'époque contemporaine : la disparition de ces forces historiques qui, au stade précédent, représentaient des possibilités et des formes de vie nouvelles.

Les divers processus d'introjection se sont cristallisés dans des réactions presque mécaniques. Par conséquent il n'y a pas une adaptation mais une mimesis, une identification immédiate de l'individu avec sa société et à travers elle, avec la société en tant qu'ensemble.

Le concept d'aliénation devient problématique quand les individus s'identifient avec l'existence qui leur est imposée et qu'ils y trouvent réalisation et satisfaction. Cette identification n'est pas une illusion mais une réalité. Pourtant cette réalité n'est elle-même qu'un stade plus avancé de l'aliénation ; elle est devenu tout à fait objective ; le sujet aliéné est absorbé par son existence aliénée. Il n'y a plus qu'une dimension, elle est partout et sous toutes les formes.

L'idéologie se situe aujourd'hui dans le processus de production lui-même. (...) Les biens et les services qu'il produit "vendent" ou impose le système social en tant qu'ensemble.

Les produits endoctrinent et conditionnent ; il façonnent une fausse conscience insensible à ce qu'elle a de faux.
Les valeurs de la publicité créent une manière de vivre.


Herbert Marcuse,
L'homme unidimensionnel,
essai sur l'idéologie de la société industrielle avancée, 1964.

Extraits : http://inventin.lautre.net/livres/Marcuse-L-homme-...
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