LA BOUFFE CONTAMINÉE

LA BOUFFE CONTAMINÉE

CONTAMINATION LEGALE DES ALIMENTS
EN CAS D’ACCIDENT NUCLEAIRE


La CRIIRAD dénonce le travail scandaleux des experts Euratom et appelle à
une mobilisation massive contre le projet de la Commission européenne !
Mai 2015

Le projet de règlement européen

La Commission européenne a élaboré un projet de règlement fixant les niveaux maximaux admissibles (NMA) de contamination radioactive qui seront appliqués aux aliments en cas d’accident nucléaire. Ce projet est en cours d’examen par le Parlement (pour avis) et par le Conseil de l’Union européenne (pour décision). S’agissant d’un règlement, une fois adopté, il sera d’application directe et obligatoire dans tous les Etats de l’Union européenne, sans possibilité de modification.
Des limites sont fixées pour 4 groupes de radionucléides (schématiquement : plutonium, strontium, iode et césium) et 5 catégories de denrées alimentaires : préparations pour nourrissons, lait, boissons (dont eau potable), aliments de base (viandes, poissons, légumes, fruits, céréales…) et aliments dits mineurs. Si la limite est dépassée, le produit ne pourra pas être mis sur le marché ; si le niveau de radioactivité n’excède pas la limite, les aliments pourront être librement commercialisés au sein de l’Union, exportés d’Europe vers les pays tiers ou importés en Europe à partir de pays tiers contaminés.



Des niveaux de risque inacceptables

Les substances radioactives sont des polluants cancérigènes, mutagènes et génotoxiques reconnus. Aussi est-il crucial que les niveaux de contamination que les autorités européennes jugent « admissibles » assurent un niveau de protection suffisant. Tel n’est pas le cas.
Les limites inscrites dans le projet de règlement correspondent à des niveaux de risque inadmissibles et font peser sur les enfants la plus lourde part du détriment sanitaire. Le dispositif ne prévoit par ailleurs aucune mesure de protection spécifique ni pour les femmes enceintes (alors que la radiosensibilité du fœtus est largement démontrée) ni pour les femmes qui allaitent leur bébé (alors que des radionucléides comme l’iode radioactif passent facilement dans le lait maternel et que les nourrissons constituent le groupe d’âge le plus vulnérable).

Si l’on en croit la Commission européenne, le projet garantit le respect de la limite maximale de dose efficace de 1 mSv/an. Cette affirmation est totalement fausse. Les vérifications conduites par la CRIIRAD font apparaître des doses 10 fois, et jusqu’à 100 fois, supérieures. Or, la limite de 1 mSv/an correspond à un niveau de risque déjà élevé : rapporté à la population française, cette exposition représente un détriment officiel de 3 800 décès et assimilés (1). Avec des doses 10 fois supérieures on autorise la commercialisation d’aliments dont le niveau de contamination pourra provoquer des dizaines de milliers de morts et un nombre bien supérieur de cancéreux. Comment expliquer un tel écart ?

Une incroyable accumulation d’anomalies gravissimes

Le projet de règlement est un document totalement opaque, ne précisant ni le niveau de risque jugé acceptable, ni le niveau de dose de référence, ni les hypothèses retenues pour les calculs (régimes alimentaires, groupes d’âge, pourcentage d’aliments contaminés, taux de contamination…).
Poussée à s’expliquer, la Commission européenne a fini par insérer, dans l’exposé des motifs qui introduit son projet de règlement, une référence au rapport scientifique qui justifie et valide le choix de Niveaux Maximaux Admissibles de contamination radioactive. Ce rapport (2) a été rédigé en 1998 par les experts Euratom (experts de la Commission européenne en matière de radioprotection, établis en application de l’article 31 du traité Euratom).
L’analyse de ce document nous a permis d’identifier toute une série d’erreurs, d’incohérences et d’irrégularités. Elles sont graves et vont TOUTES dans le même sens : minimiser les doses et les risques (ce qui conduit évidem- ment à fixer des limites de contamination excessivement élevées). Nous présentons ci-après quelques-uns des dysfonctionnements les plus marquants :

• Une incohérence majeure et rédhibitoire : la clause de l’éloignement. De l’aveu même des experts, les NMA ont été définis pour l’impact d’un accident lointain, survenant à l’extérieur de l’ Union europ éenne, typiquement à plus de 1 000 km de ses frontières. Forts de cette condition préalable, les experts ont calculé les limites pour un faible pourcentage d’aliments contaminés (10% d’aliments solides, 1% d’eau potable). Il n’y aurait rien à redire si le texte du règlement avait respecté le postulat de départ et précisé que son champ d’application se limite à l’importation de denrées alimentaires à partir de pays tiers contaminés par un accident nucléaire. Or il n’en est rien : le règlement s’applique à tout accid ent, y co mpris s’il survient dan s un Etat membre d e l’ UE ! Or, dans ce cas, les hypothèses de calcul ne tiennent plus : le pourcentage d’aliments contaminés pourrait être considérablement plus élevé ce qui impose des limites beaucoup plus basses ! Une incohérence aussi majeure n’a pas pu échapper aux experts et décideurs européens ! Dans leur avis de novembre 2012, qui valide les NMA, les experts Euratom invitent d’ailleurs la Commission européenne à les consulter d’urgence en cas de contamination majeure affectant l’Europe ! Rien n’est dit sur le temps qu’il faudra pour élaborer de nouvelles limites, puis les faire adopter par les 28 Etats membres. On est en pleine confusion : c’est précisément parce qu’en cas d’accident il est impératif d’agir très vite qu’ont été fixés des NMA préétablis et directement applicables !

• Un énorme mensonge : le règlement affirme que les limites définies pour les aliments liquides tiennent compte de la consommation courante d’eau potable. On devrait donc s’attendre à ce que les calculs soient effectués pour une consommation minimale de 1 litre d’eau par jour (l’OMS retient une consommation de 2 l/j). Or, l’analyse du rapport d’expertise montre que les NMA ont été définis pour
ne ou d eux gorgées d’ eau par jour :
7 ml/j pour un enfant de 1 an et 16 ml pour un adulte (3) ! Des valeurs aussi dérisoires conduisent évidemment à la fixation de limites de contamination quasi criminelles pour un produit aussi vital que l’eau. Faute de pouvoir justifier ces choix, les auteurs du règlement ont manifestement préféré écrire en toutes lettres une contre-vérité flagrante et potentiellement très lourde de conséquences.

• Des « oublis » inconcevables : nous n’en citerons qu’un, mais très éloquent, celui des aliments dits « de moindre importance ». Les autorités européennes ont décidé de fixer, pour cette catégorie, des limites très élevées : 10 fois supérieures à celles définies pour les aliments de base ! Cette décision, critiquable sur le principe, pourrait se comprendre si les experts avaient procédé aux vérifications nécessaires et démontré, chiffres à l’appui, que l’impact de la consommation de denrées aussi contaminées serait effectivement négligeable. Or, il n’en est rien : le rapport d’expertise ne contient pas une ligne sur le sujet ! Ce travail était pourtant indispensable : les vérifications effectuées par la CRIIRAD, sur la base des données de consommation de l’EFSA, montrent que les seuls « épices et aromates » augmentent la dose totale d’environ 20%, ce qui n’a rien de négligeable. De plus, les niveaux d’iode 131 admis dans les aliments dits mineurs sont si élevés que des consommations ponctuelles peuvent conduire au dépassement de la limite nécessitant, selon l’OMS, l’administration de comprimés d’iode stable destinés à saturer et protéger la thyroïde. Ce serait par exemple le cas d’un enfant en bas âge consommant seulement 150 g de patates douces (4) atteignant, sans la dépasser, la limite fixée pour l’iode 131 ! Comment des « responsables » peuvent traiter avec autant de légèreté un dossier aussi important ?

• Des « erreurs » incompréhensibles : passons sur les erreurs de référencement et signalons, parmi les exemples les plus préoccupants, l’erreur sur le coefficient qui permet de calculer la dose de rayonnement que reçoit un nourrisson du fait de l’ingestion d’aliments contaminés par le plutonium 239. La valeur mentionnée dans le tableau (et utilisée dans les calculs) est 10 fois inférieure à la valeur officielle (que les experts prétendent pourtant appliquer) : le niveau de dose et de risque est ainsi divisé par 10 ce qui conduit à fixer des limites 10 fois trop élevées. Comment des documents de référence, déterminant pour notre protection, peuvent échapper au b.a. ba du contrôle qualité ?

• des procédés condamnables : l’un des plus choquants conduit au défaut de protection du groupe le plus vulnérable, celui des nourrissons : au lieu de conduire les calculs pour les moins de 1 an, les experts ont choisi comme groupe critique les enfants de 6 mois à 18 mois. Grâce à ce glissement, ils s’autorisent à utiliser les coefficients de dose de la tranche 1 à 2 ans, généralement très inférieurs à ceux des nourrissons, ce qui permet, là encore, l’établissement de limites de contamination plus élevées que si elles avaient été conçues pour les moins de 1 an. Or, s’agissant de protection sanitaire, il est impératif de conduire les calculs pour les individus les plus vulnérables, sans quoi les limites fixées n’assureront pas leur protection.

• des négligences coupables : la question, pourtant fondamentale, de l’exposition de la thyroïde du fait de la contamination des aliments par les isotopes radioactif de l’iode est abordée dans une note de 3 lignes au bas d’un tableau ! On y apprend qu’en cas d’incorporation prolongée d’iode 131, il est conseillé de vérifier, en plus de la dose efficace, la dose à la thyroïde. Mais n’est-ce pas justement aux experts de procéder à ces vérifications (qui leur auraient montré que des incorporations limitées dans le temps posent aussi problème). Et qui le fera puisque le règlement ne contient aucune allusion au contenu du rapport d’expertise ? Il est impératif que les limites fixées pour l’iode garantissent la protection de la thyroïde. En 1998, on utilisait le terme d’épidémie pour qualifier l’augmentation vertigineuse de l’incidence des cancers de la thyroïde parmi les populations exposées aux retombées de Tchernobyl. Le groupe le plus affecté était constitué des enfants qui avaient moins de 5 ans en 1986 ! Comment peut-on traiter avec autant d’insouciance – dans une simple note dont le contenu est erroné ! – une question majeure pour la protection sanitaire des enfants ?

• une expertise a minima : dans leur rapport d’évaluation de la validité des NMA, les experts Euratom se sont contentés d’effectuer les calculs de dose pour les adultes et les nourrissons (sans traiter d’ailleurs la question de l’allaitement maternel). Aucun calcul n’a été conduit ni pour les enfants ni pour les adolescents alors que pour certains radionucléides et certains aliments ils constituent le groupe critique (nos vérifications montrent que la limite de l’iode dans le lait devrait être calculée en fonction des enfants en bas âge). Le cas particulier du fœtus n’a même pas été évoqué.

• des choix contestables : les experts Euratom reconnaissent, dans leur rapport de 1998, que les NMA ne sont pas adaptés aux groupes à risque, et notamment aux consommateurs dont l’alimentation a pour l’essentiel une origine locale. Il faudrait revoir à la baisse les NMA pour protéger tout le monde mais les experts recommandent une approche alternative : informer les populations concernées des risques particuliers qu’elles encourent. A elles d’assurer leur protection, l’Etat se contentera de les informer.

Et la liste est encore longue. Il faudrait traiter du classement incorrect de certains radionucléides (les isotopes de l’uranium dans le groupe du césium, par exemple), de l’application incorrecte de certaines limites (celles des aliments destinés aux nourrissons de moins de 6 mois à des denrées destinées aux plus de 6 mois), du non cumul des groupes de toxicité (comme si un accident nucléaire majeur n’allait pas provoquer le rejet de tout un cocktail de produits radioactifs !), de l’exclusion injustifiée de deux radionucléides clés, le tritium et le carbone 14, etc., etc.

Tous les biais conduisent à minorer les doses et les effets se cumulent. Résultat : les NMA définit dans le projet de règlement européen sont excessivement laxistes. Les coûts économiques sont ainsi considérablement réduits : plus basses les limites, moindre les quantités d’aliments contaminés à éliminer, moindre le nombre d’agriculteurs et d’éleveurs à indemniser. Mais à quel prix sanitaire ? L’enjeu est la protection de 500 millions de consommateurs européens – parmi lesquels des dizaines de millions d’enfants – contre des polluants radioactifs susceptibles d’induire des cancers chez les personnes exposées et des maladies génétiques dans leur descendance (sans parler des nombreuses pathologies que le système officiel de radioprotection ne prend toujours pas en compte).

Établir les responsabilités

Incompétence ? Incurie ? Tromperie délibérée ? Souci de respecter de la mission statutaire du Traité Euratom qui est de veiller au développement rapide des industries nucléaires ? La CRIIRAD n’a pas les réponses mais compte bien obtenir des explications.

Par courriel en date du 21/04/2015, puis par lettre RAR restée sans réponse à ce jour, la CRIIRAD a demandé au Commissaire européen en charge de la santé publique et de la sécurité alimentaire, les coordonnées des experts Euratom responsables de l’expertise de 1998 et de l’avis favorable de 2012. Cet avis du 21 novembre 2012, signé de la présidente du Groupe d’Experts, Mme Helena Janžekovič, confirme en effet les conclusions du rapport de 1998 : les niveaux maximaux admissibles prédéfinis pour les futurs accidents dans le règlement de 1987 sont encore valables et peuvent être repris sans changement dans le nouveau projet de règlement européen.

Non contents de ne corriger aucune des anomalies listées ci-dessus, les experts ne se sont pas non plus souciés de compléter et consolider le dispositif : en 1998, les experts Euratom regrettaient, par exemple, le manque d’information sur le régime alimentaire des consommateurs européens. Depuis lors, l’EFSA a construit et mis à disposition une importante base de données (5) dédiée à la consommation alimentaire des européens (avec des informations que l’on peut classer par pays, par produits et par groupes d’âge). Les experts Euratom n’ont pas jugé utile de s’en servir. Autre exemple, en 1990, seuls les césiums 134 et 137 ont été pris en compte dans les limites définies pour les aliments destinés au bétail. 25 ans plus tard, on en est encore là. Il faudrait également insérer dans le règlement des prescriptions sur la mise en œuvre des contrôles car cela n’ira pas de soi : plusieurs rapports récents montrent l’insuffisance des contrôles alimentaires en fonctionnement normal, alors en situation accidentelle !

Appel à mobilisation

La CRIIRAD appelle tous les citoyens européens à se mobiliser et à signer la pétition demandant une refonte complète, transparente et démocratique de la réglementation applicable en cas d’accident.

Signature en ligne à :
http://criirad-protegeonsnotrealimentation.wesign....

La responsabilité d’établir les normes de radioprotection doit être retirée du traité Euratom et transférée au traité de l’Union européenne. Les limites de dose et de contamination ne doivent plus avoir vocation à assurer le développement de l’industrie nucléaire mais garantir conformément aux dispositions du traité européen :
1/ un niveau de protection élevé,
2/ l’application du principe de précaution,
3/ l’application du principe pollueur- payeur.
Ce dernier point est essentiel : grâce au régime spécifique de la responsabilité civile nucléaire, l’industrie nucléaire est aujourd’hui dispensée d’indemniser les dommages corporels et matériels qu’elle est susceptible de provoquer. De plus, la totalité des sommes disponibles pour la gestion d’un accident nucléaire majeur (exploitant et ensemble des Etats réunis) est de l’ordre du millième des montants admis par les organismes officiels.

Des actions sont en préparation en direction du Parlement européen, et tout d’abord de la commission ENVI (environnement, santé publique et sécurité alimentaire) qui doit se prononcer mardi prochain 26 mai 2015, sur le projet de la Commission européenne.



1 - D’après le coefficient de risque de la Commission Internationale de Protection Radiologique (publication 103 de la CIPR, 2007). Les décès ne sont qu’une composante de l’impact sanitaire. Si 66 millions d’habitants reçoivent une dose de 1 mSv, on s’attend à l’apparition de plus de 11 000 cas de cancers radio-induits. Il s’agit d’un ordre de grandeur pertinent pour l’évaluation des normes de protection. En cas d’accident, le dommage réel dépendra de la nature des radionucléides et de la radiosensibilité des organes cibles.

2 - Radiation Protection 105: EU Food Restriction Criteria for Application after an Accident. European Commission, DG Environment, Nuclear Safety and Civil Protection.

3 - Un facteur de contamination de 0,01 (1%) est appliqué à la consommation des enfants (250 l/an) et des adultes (600 l/an).

4 - Ce produit figure dans la liste des aliments de moindre importance qui inclut les épices et les condiments (aulx, câpres, poivre, piment, gingembre, noix muscades, poivre, vanille, fenouil, thym, etc.), les écorces d’agrumes et de melon, fruits confits, vanille...), des racines et des tubercules (type patates douces, topinambour, manioc, sagou...), mais aussi le caviar, les truffes, le cacao, les levures, les huiles essentielles... et jusqu’aux vitamines et provitamines.

5 - Autorité européenne de sécurité des aliments : base de données exhaustive sur la consommation alimentaire. http://www.efsa.europa.eu/fr/datexfoodcdb/datexfoo...
Makh
Salut Lukas. Dis tu pourrais modifier ton texte et enlever l'italique juste sur le premier para ("La CRIIRAD" à "mai 2015). Si tu regardes sur le mur commun ya un bug de l'italique, un texte en visio qui finit sur de l'italique, du gras... Fait buguer le mur qui devient entièrement ita ou gras... Br...
Makh
Concernant l'article difficile de mettre un j'aime... Mais merci du partage, c'est fou de de dire qu'on nous bourre de médicaments, de chimiques pourris, de radiations etc... Et que ça passe en commission comme si c'était une décision qui de décide suivant un taux spécifique et admissible... Je sais...
JoeBar
j'ai corrigé l'italique ....
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