Psycho Politique - Anarchisme et nature humaine : domination contre autonomie (Francis Dupuis-Déri)

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Psycho Politique - Anarchisme et nature humaine : domination contre autonom...


Table des matières :
  • La nature humaine : l’anarchisme est-il optimiste ?
  • Nature humaine et le politique comme volonté de domination
  • Y a-t-il une nature humaine ?
  • La nature humaine : deux forces antinomiques
  • Une pensée structuraliste
  • Conclusion : piste pour une philosophie anarchiste de l’histoire


Extrait :


« [N]ous savons que nous-mêmes ne sommes pas sans défaut et que les meilleurs d’entre nous seraient vite corrompus par l’exercice du pouvoir.
Nous prenons les hommes pour ce qu’ils sont — et c’est pour cela que nous haïssons le gouvernement de l’homme par l’homme
».

—Pierre Kropotkine, "L’anarchie"


À titre de professeur de science politique à l’université, j’ai souvent présenté en classe les principes politiques de l’anarchisme, soit la liberté, l’égalité et la solidarité. J’ai expliqué que les anarchistes espèrent organiser les rapports sociaux sans domination, et cela dans tous les champs d’activités humaines : politique, économie, religion, amour et sexualité, etc.. Je précise aussi que l’anarchisme, comme toute philosophie politique, offre avant tout un idéal régulateur. Il y a toujours un fossé entre l’idée (l’anarchisme) et la pratique (l’anarchie). L’être humain, qu’il soit ou non anarchiste, est imparfait et ne peut jamais être à la hauteur de ses idéaux philosophiques. De plus, il est rare qu’un être humain adhère à tous les principes d’une idéologie politique. Enfin, les partisans d’une idéologie spécifique ne s’entendent pas toujours pour définir et hiérarchiser leurs principes fondamentaux. Conséquemment, tous les régimes — monarchistes, fascistes, libéraux, communistes, théologiques, etc. — comptent un certains nombre d’incohérences et d’imperfections si on les évalue à la lumière des philosophies politiques et des idéologies dont ils se réclament.

Trop souvent, pourtant, on excuse certaines incohérences chez les régimes libéraux, mais ont exprime une exigence absolue envers l’anarchisme et l’anarchie. Lorsque je présente l’anarchisme, il se trouve toujours quelqu’un pour évoquer un article de magazine ou un documentaire télévisé portant sur quelques chimpanzés, qui démontrerait de manière définitive que l’anarchie est impossible, puisque la hiérarchie et l’inégalité sont des invariables déterminées par la nature. Il y aura toujours des mâles alpha en position formelle ou informelle de domination, en raison des chromosomes, des hormones, de la différence entre les sexes, des lois de la sélection naturelle. L’anthropologue anarchiste Harold Barclay de l’université d’Alberta, au Canada, témoigne lui aussi de cette conviction élitiste si répandue selon lui à l’université : « c’est mon expérience en plus de 30 années à enseigner l’anthropologie, que parmi les étudiantes et des étudiants, le mythe le plus profondément ancré est celui selon lequel aucune société ne peut exister sans gouvernement — et son corrolaire, à savoir que n’importe quelle société qui existe doit avoir un chef », et il ajoute, au sujet de ma discipline : « [d]ans les Universités, les département de “science” politique sont les principaux centres de promotion de ce mythe ».

Je rappelle parfois dans mes classes les travaux d’anthropologues (dont ceux de Barclay, mais aussi Pierre Clastre et David Graeber) et d’historiens qui ont étudié des sociétés sans chef(s), dont les peuples amérindiens d’Amérique du Nord, qui se gouvernaient par des assemblées où l’on délibérait au sujet des affaires communes. On me réplique alors d’un haussement d’épaules qu’il y avait certainement des individus plus influents que d’autres et qu’ils exerçaient leur domination sur la collectivité. De toute façon, les peuples européens les ont massacré, d’où la preuve que la domination sait inévitablement s’imposer. On me demande aussi toujours, ou presque, comment une société anarchiste saura réagir efficacement un maniaque qui circule armé d’une tronçonneuse et cherchant à décapiter les unes et les autres ? Il faut bien une prison, non, et des policiers ? Donc l’anarchie est impossible.

Constatant que cette exigence absolue n’est pas de mise lorsqu’il est question d’autres types de régime, dont le libéralisme qui connaît pourtant certaines incohérences, j’en suis venu à penser comme d’autres anarchistes que l’objectif rhétorique de tels questionnements est d’écarter toute réflexion sur les potentiels de l’anarchisme en soulevant un seul problème ou en donnant un seul exemple contradictoire. Ou, pour le dire plus brutalement, que « le recours à la “nature humaine” comme argument contre l’anarchisme est tout simplement superficiel, et ultimement une esquive. Il s’agit d’une excuse pour ne pas penser. » Plus sérieusement, j’en suis venu à formuler deux hypothèses pour expliquer cette incapacité, voire ce refus d’imaginer une société sans domination.


[...] Suite : http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepo...

Francis Dupuis-Déri, « Anarchisme et nature humaine : domination contre autonomie », "Les cahiers psychologie politique" [En ligne], numéro 24, janvier 2014.
Eric "Camille" Alkaest
Le terme "nature humaine" est on ne peut plus ambigu car l'homme participe à la fois de la nature, par sa nature animale et tend à s'en détacher par son humanité.
Et si l'anarchie était l'apanage ultime de la nature humaine, vraiment débarrassée de toute notion de hiérarchie et donc de domination/sou...
Eric "Camille" Alkaest
Certainement que d'autres espèces animales, par exemple les dauphins, sont elles aussi dotées de cette capacité à avoir une intelligence collective où chaque membre du groupe est à la fois l'égal de tout autre et dont les particularités des "chacuns" sont connues de tous en tout instant de manière à...
Eric "Camille" Alkaest
Pour parvenir à ce but d'organisation anarchique (terme qui semble antinomique à celui dont l'esprit est encore formaté par la définition patriarcale bourgeoise qui associe l'anarchie au désordre), l'émancipation des esprits est nécessaire. Bien plus qu'une sorte de "reconditionnement", cette émanci...
Eric "Camille" Alkaest
Paradoxalement pour certains, des méthodes pour parvenir à cette ouverture sont de nos jours détenues et transmises par des structures humaines spirituelles qui s'apparentent extérieurement à des "structures mystiques" alors qu'elles visent à la libération de l'esprit... enfin, ce sont celles-là qu'...
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